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Pr Nicolas Franck,
Professeur des Universités - Praticien Hospitalier ; Chef du pôle Centre rive gauche, Le Vinatier ; Responsable du Centre ressource de réhabilitation psychosociale (CRR).

"Développons la culture de la réhabilitation psychosociale dans la pratique des secteurs de psychiatrie"

Où en est la réhabilitation psychosociale en France ?
"On compte aujourd’hui plus de 130 centres de réhabilitation psychosociale (CRP) dans le pays répondant à la description qui en est faite dans l’instruction DGOS de 2019. Parmi ceux-ci on compte une quinzaine de centres supports. Nous avons donc largement développé cette offre ces dernières années. Grâce à la cohorte REHABase, à laquelle 6 326 usagers de 32 centres ont accepté de participer de 2016 à 2024, nous connaissons précisément le profil des personnes qui y sont suivies. Or, il s’avère qu’entre 2018, année de la première extraction de données de cette cohorte, et 2024, le profil des bénéficiaires n’a pas évolué, ce qui est décevant. Non pas que les CRP travaillent mal, mais les personnes qui leur sont adressées ne sont pas celles qui en auraient le plus besoin. Par exemple, l’âge moyen des usagers lors du premier entretien reste à 33 ans, donc nous touchons peu les jeunes. La durée moyenne d’hospitalisation est de 5 mois, ce qui est énorme… En moyenne, les usagers accèdent à la réhabilitation 12 ans après le début de la maladie, ce qui est bien entendu très tardif. Concernant les traitements, 31% ont 3 médicaments ou plus. Depuis 6 ans, les personnes qui viennent dans les CRP, où elles sont souvent adressées par la psychiatrie publique ou les généralistes, ont donc un profil inchangé. Ce sont des personnes qui ont un parcours très hospitalo-centré, bien loin du travail de dépistage et de prévention que nous attendons des CRP. De plus, nombre d’entre elles sont déjà très avancées dans leur parcours de rétablissement et ne sont donc pas celles ciblées au départ."

Alors comment faire pour que la rehab atteigne son public ?
"D’après moi, soit on arrive à recevoir au sein des CRP les personnes en début de parcours, mais le réseau sera débordé si toutes celles qui en ont besoin y accèdent, soit les secteurs de psychiatrie générale se mettent à faire de la réhab, ce qui implique de changer leurs pratiques. Cela n’empêcherait pas les CRP de continuer à traiter les cas les plus complexes avec des méthodes spécifiques notamment en matière de remédiation cognitive. Mais je n’ai pas toutes les solutions ; je crois qu’elles vont émerger d’une réflexion collective. C’est pourquoi, pour que le mouvement prenne plus d’ampleur, que la réhab devienne la norme et que chacun puisse y accéder, nous avons lancé le vaste groupe de travail #RehabPourTous auquel tout le monde est invité à participer (vous pouvez vous inscrire ici). Nous y développons quatre grands thèmes. Le premier est ‘Faciliter l’accès aux centres de réhab’. Il y a aujourd’hui 3 mois d’attente en moyenne pour accéder aux CRP, ce qui est trop. Cela est notamment dû à des barrières entravant l’accès à ces structures. Il faudrait simplifier les choses et travailler davantage avec les partenaires (CLSM, CPTS, etc.). Second thème : ‘Faire connaître la réhab, le rétablissement et ses lieux au grand public’. Il s’agit là d’améliorer la culture de la santé mentale en population générale et de diminuer la discrimination et la stigmatisation. Le troisième thème, ‘Favoriser l’aide entre pairs et l’auto-soin’, est basé sur deux idées simples : d’une part, si les personnes sont outillées pour s’orienter et construire elles-mêmes leur plan de soin, on gagne tous du temps, d’autre part, la pair-aidance donne des modèles de rétablissement à la fois aux usagers et aux soignants, alors, puisqu’elle redonne le moral à tout le monde, développons-là ! Le dernier thème s’intitule ‘Encourager les CATTP, HDJ, CMP et structures de gestion des crises à faire de la réhab ou à orienter."

Justement, comment voyez-vous l’évolution des pratiques de secteur ?
"Nous devons centrer l’action des professionnels sur le rétablissement personnel, qui est au cœur de la réhabilitation psychosociale. Et conduire ce changement autour de valeurs communes : meilleur accès aux soins ; horizontalisation des relations entre les professionnels, les usagers et les aidants ; prise en compte du savoir expérientiel, ou encore diminution des hospitalisations et des soins sous contrainte. Cela ne peut se faire sans l’engagement personnel des professionnels dont les pair-aidants. Moyennant quoi, lorsque l’on prend cette direction, on développe leur sentiment d’utilité et leur bien-être au travail.
La participation des usagers est également essentielle. Au niveau organisationnel, chaque projet de service devrait être co-construit. Et au niveau du parcours individuel de l’usager, il faut mettre en cohérence le projet de soins et le projet de vie, par exemple via la mise en place systématique, comme nous l’avons fait à Lyon, de plans de suivi individualisés, qui font le lien entre les projets personnels, intégrant différentes dimensions de la vie quotidienne, et les soins ou l’accompagnement vers le médico-social.
Je pense en outre, comme Michel Laforcade, que la grande majorité des budgets doit être fléchée vers l’extra-hospitalier. Bien sûr, il nous faut conserver nos moyens, ce type de transformation et le développement des alternatives à l’hospitalisation ne peut se faire avec une contraction des budgets. Cela passe par la création d’équipes mobiles, mais également par la collaboration des professionnels de soins avec ceux des structures sociales (par exemple des pensions de famille). Notre travail autour de la grande précarité, avec une équipe mobile intervenant dans des CHRS à Lyon, donne aussi de bons résultats.
Cela n’empêche pas d’imaginer en parallèle de nouvelles lignes de soin spécialisées dans les CMP. Nous avons par exemple développé une ligne d’addictologie, une autre consacrée aux troubles du neurodéveloppement qui permet de mieux diagnostiquer et prendre en charge l’autisme et le TDAH, une ligne pour les soins pénalement ordonnés, une autre pour le trouble borderline, ainsi qu’une ligne de soins pour les personnes avec un diagnostic de bipolarité.
Je suis attaché à l’approche généraliste du secteur pour que personne ne soit exclu des soins parce qu’il est « en dehors des cases ». C’est pourquoi nous avons également, outre ces approches spécialisées, créé un centre d’accueil d’évaluation et d’orientation (CADEO), qui ne propose pas de suivi mais, dans les quelques jours, une consultation avec un psychiatre qui permet une orientation. Celle-ci est d’ailleurs, dans la grande majorité des cas, effectuée vers le secteur libéral, c’est-à-dire vers les médecins généralistes, vers les psychiatres libéraux ou vers les psychologues libéraux.
Une telle organisation nécessite une approche pluridisciplinaire, avec des IPA, des pair-aidants, les case-managers…, sans oublier une aide renforcée aux aidants.
Si on change les pratiques avec ces valeurs, ces principes de décloisonnements et beaucoup de formation, on réduit à la fois le nombre et la durée des hospitalisations. On peut aussi diminuer les soins sous contrainte, en réalisant des débriefings systématiques avec les personnes qui ont été concernées par ces mesures. Cela aide notamment les soignants à prendre conscience de certaines choses. Bien sûr, cela ne suffit pas. Il faut également travailler avec l’hôpital général pour diminuer les arrivées de personnes contenues en provenance des urgences. Mais tout cela n’est pas impossible. D’ailleurs, l’orientation rétablissement d’un service peut s’évaluer : on peut objectiver l’amélioration des pratiques."

 

DIU "Santé mentale dans la communauté" : les inscriptions à l’édition 2025 sont ouvertes !
Le Diplôme Inter-Universitaire "Santé mentale dans la communauté : étude et applications" a pour objectif de proposer une formation théorique et pratique à la santé mentale dans la communauté et à ses applications dans les domaines suivants : organisation des services dans la cité, développement des pratiques psychiatriques centrées sur le rétablissement, promotion et prévention en santé mentale, lutte contre la stigmatisation et la discrimination, participation des élus locaux, des usagers et des aidants aux dispositifs de prévention, de soins et d’insertion sociale. Proposée par les Universités de Lille et Paris 13, l’AP/HM, le CHU Sainte Marguerite Marseille et le CCOMS de Lille, l'édition 2025 aura lieu en mars, juin et septembre, à Paris, Lille et Marseille, sur un volume horaire de 121 heures. Les méthodes pédagogiques utilisées comprendront des cours théoriques, des études de cas et analyses de pratiques, des tables rondes et débats, des visites de services et rencontres d’équipes et des professionnels des collectivités territoriales, des services de l’État, des universitaires, des usagers et associations de familles en santé mentale.
En savoir plus, consulter le programme…
Contact : ccoms@ghtpsy-npdc.fr


Un guide de l’ANAP pour réduire l’isolement et la contention
L'Agence nationale de la performance sanitaire et médico-sociale a mis en ligne un guide qui propose aux équipes de direction et équipes médico-soignantes d’établissements ayant une activité de psychiatrie, quatre leviers pour favoriser l’évolution des pratiques professionnelles, la prise en compte des besoins des personnes concernées et ainsi contribuer à réduire les mesures d’isolement et/ou de contention au niveau des unités de soins. Les leviers proposés sont : Développement des alternatives à l'isolement et à la contention ; Renforcement de la formation des équipes sur les pratiques de prévention ; Implication des patients et de leurs familles dans le processus de soins ; Suivi et évaluation systématique des pratiques pour améliorer la prise en charge.
Consulter le guide ici.

Maltraitances intrafamiliales et institutionnelles : mieux repérer les situations à risque et accompagner les adultes qui en sont victimes
La Haute Autorité de santé a publié deux guides à destination d’un large panel de professionnels. Le premier a pour objectifs d’aider les professionnels de proximité ou intervenant à domicile à repérer les situations à risque de maltraitance intrafamiliale sur personnes majeures en situation de vulnérabilité, à améliorer l’évaluation des situations avérées et à mieux accompagner et protéger les victimes. Les femmes en sont les principales victimes, en tant que conjointe, personne âgée ou en situation de handicap ou mère. De plus en plus de parents sont également violentés par leurs enfants, adolescents ou jeunes adultes.
Le second guide, commun aux secteurs social, médico-social et sanitaire, vise à prévenir la maltraitance en établissement d’accueil pour adultes, et plus particulièrement la maltraitance institutionnelle, en déployant la bientraitance et en repérant les signaux d’alerte à différents niveaux.
Consultez le guide sur les violences intrafamiliales.
Consultez le guide sur la maltraitance en établissement.

 

La protection de l’enfance est en danger : les préconisations du CESE
Le Conseil Économique Social et Environnemental constate qu’actuellement, 344 682 mineurs et jeunes majeurs sont pris en charge par l’aide sociale à l’enfance (+18% depuis 2011), avec un délai moyen supérieur à 6 mois pour appliquer les mesures de protection compte tenu d’une pénurie inédite de personnels (30 000 postes vacants dans le secteur médicosocial et éducatif). Le CESE pointe la crise systémique de la protection de l’enfance, un "cas d’école de la non effectivité des politiques sociales". Il alerte sur des dysfonctionnements qui persistent ou s’aggravent et l’énorme décalage qui se révèle entre le cadre protecteur et complet des lois existantes et leur application sur le terrain. C’est pourquoi le CESE formule 20 préconisations pour un parcours de protection centré sur les droits et besoins de l’enfant, dont le suivi psychologique précoce en CMP, considérant que ces jeunes sont présumés en situation d’urgence psychologique.
Lire l’avis ici.

 

Les soins de santé mentale nécessitent des interventions favorisant les liens sociaux
L’article publié dans Psychiatry Research met en évidence les effets néfastes de la solitude et de l’insatisfaction dans les relations sociales sur le rétablissement de la santé mentale. En utilisant les données de plus de 15 000 patients en traitement à GGZ Noord-Holland-Noord, il a constaté que ces facteurs augmentent la détresse et entravent le rétablissement, indépendamment de l’âge ou du genre. La recherche préconise des interventions favorisant le lien social parallèlement à la gestion des symptômes afin d’améliorer le rétablissement et de favoriser la résilience par le biais d’initiatives communautaires.


Rapport sur l'économie du burn-out : rompre le cycle de la mauvaise santé mentale
Dans son récent rapport, le Rapporteur spécial aux Nations Unies sur les droits de l’homme et l’extrême pauvreté, Olivier De Schutter, recense les circonstances qui exposent les personnes en situation de pauvreté à un risque accru de troubles mentaux et examine comment les problèmes de santé mentale peuvent perpétuer la pauvreté. Il invite les États à passer d’une approche biomédicale, selon laquelle ces problèmes sont traités du point de vue de l’individu affecté, à une approche axée sur les déterminants sociaux. Outre le fait d’accroître l’investissement dans les soins de santé mentale, le Rapporteur spécial explique qu’il faut s’atteler en priorité à prévenir les risques psychosociaux causés par la précarisation de l’emploi, à renforcer la protection sociale, grâce à la mise en place d’un revenu minimum universel, à déstigmatiser les problèmes de santé mentale, et à faciliter l’accès aux espaces verts, à des fins de reconnexion avec la nature. Les cercles vicieux reliant pauvreté et problèmes de santé mentale sont le prix à payer pour l’accent que notre société, obsédée par l’augmentation de la production économique totale, met actuellement sur le renforcement de la concurrence et de la performance ; il est cependant possible de sortir de ces engrenages, à condition d’accorder une plus grande place au bien-être qu’à la quête sans fin de croissance économique.
Lire le rapport ici (en français).


Fiche d'information de l’OMS sur la santé mentale des adolescents
L’OMS a publié sur son site une courte fiche d’information sur la santé mentale des adolescents qui reprend quelques données principales, des recommandations politiques et les tendances de la prévalence des problèmes de santé (associés à la santé psychologique) de 2014 à 2022, pour une quarantaine de pays, par âge et sexe.
A lire ici (en anglais).


L'importance de la transformation des systèmes de santé mentale de plus en plus reconnue
Lancée en 2019, l'Initiative spéciale de l'OMS pour la santé mentale vise à accélérer l'accès à des soins de qualité et abordables pour les troubles psychiques, en tant que composante intégrale de la couverture sanitaire universelle. Neuf pays sont actuellement engagés dans l'initiative (Bangladesh, Jordanie, Paraguay, Philippines, Ukraine, Zimbabwe, Nepal, Ghana, Argentine). L’article récemment publié dans International Journal of Mental Health Systems examine les processus de mise en œuvre et les progrès réalisés dans le cadre de cette initiative à la fin de l'année 2022. Le rôle de l'initiative spéciale dans l'amélioration de l’importance de la santé mentale dans les agendas politiques nationaux par le biais d'un processus participatif et inclusif a été largement reconnu. Il existe également des indications de l'amorce de changements transformationnels dans les services de santé mentale. Pour garantir ces avantages, les résultats de cette étude suggèrent trois priorités stratégiques : accroître la priorité politique et le financement des changements au niveau des systèmes ; définir clairement des modèles de soins durables modifiés ; et promouvoir des mesures réalisables et contextualisées pour soutenir la responsabilisation et la correction des trajectoires. Tous ces éléments sont susceptibles de contribuer à l'élaboration de stratégies globales de transformation des systèmes de santé mentale dans d'autres contextes.

 



Retrouvez les 10 précédentes éditions de la Lettre du GCS ici.

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La Lettre du Groupement de coopération sanitaire pour la recherche et la formation en santé mentale est éditée par le Centre collaborateur de l'OMS (CCOMS), service de l’EPSM Lille métropole. Le GCS a pour objet la recherche, la formation et la mise en œuvre d’actions visant le développement de dispositifs de santé mentale intégrés dans la cité, incluant la prévention et l’insertion des publics souffrant de troubles mentaux. Le Groupement œuvre à la promotion des échanges professionnels et à toute action de lutte contre la stigmatisation en santé mentale et en psychiatrie. Il favorise et soutient la participation des représentants des usagers, des familles et des aidants. Le GCS, dont le conseil scientifique est celui du CCOMS de Lille, relaie les recommandations de l’OMS au niveau national et localement.

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